Comment la diversité des politiques de l'emploi répond-elle à la variété des formes de chômage ?

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Le taux de chômage en France est de l'ordre de 9% de la population active. Cela signifie que sur environ 30 millions d'actifs, près de 3 millions sont chômeurs. Bien qu'inférieur aux cas de l'Espagne ou de l'Italie, ce taux est plus de deux fois supérieur à celui de nos voisins allemands ou britanniques, ou si on compare à un autre grand pays riche comme les Etats-Unis. Cela pose la question de la pertinence des choix retenus par les gouvernements français successifs en matière de lutte contre le chômage, autrement dit de politiques de l'emploi. A-t-on suffisamment tenu compte de la diversité des situations qui peuvent conduire au chômage? Comment la diversité des politiques de l'emploi répond-elle à la multiplicité des formes de chômage?

1/ A chaque forme de chômage semble correspondre une politique de l'emploi adapté


 a) Face au chômage, quelle est l'utilité des politiques macro-économiques de stabilisation de la demande ?

Dans le contexte de la Grande Dépression des années 1930, l'économiste John Maynard Keynes a principalement mis en cause l'insuffisance de la demande pour expliquer le chômage. Selon lui les entreprises n'embauchent pas parce que le travail est bon marché, mais d'abord parce qu'elles prévoient de pouvoir vendre à des clients. C'est pourquoi on a pris l'habitude de parler de chômage keynésien lorsqu'on estime que le chômage a pour origine une insuffisance de la demande anticipée par les entreprises, pour leurs produits.

Face à ce type de chômage, la solution est de stimuler la demande, grâce à la politique budgétaire ou à la politique monétaire principalement. Dans le premier cas, le gouvernement français peut par exemple faire le choix de baisser les impôts ou d'augmenter les dépenses publiques. Cela accroît la consommation des contribuables qui sont moins prélevés, ou des salariés qui sont embauchés ou mieux payés, par l'Etat directement ou par ses fournisseurs. En matière de politique monétaire, l'instrument principal de la Banque Centrale Européenne est la baisse des taux d'intérêts. Les agents économiques empruntent alors davantage et dépensent plus, d'où le besoin d'embauches pour produire plus.


 b) Comment les politiques de formation et de flexibilisation répondent-elles aux causes plus structurelles de chômage ?

L'insuffisance de la demande ne permet toutefois pas d'expliquer l'écart durable entre le taux de chômage français et celui de l'Allemagne, alors que les consommateurs des produits des deux pays sont pour une bonne partie les mêmes. Conformément à la théorie néoclassique, le coût du travail joue aussi un rôle dans le chômage, notamment en ce qui concerne les actifs les moins qualifiés. Face à ce qu'il est convenu d'appeler le chômage classique, l'assouplissement de la réglementation du travail, à commencer par celle des salaires, est une solution pour réduire les coûts liés au travail dans les entreprises. La baisse des charges sociales sur les bas salaires a également été utilisée.

Une autre partie du chômage n'est pas non plus sensible aux politiques à court terme, budgétaires ou monétaires. On parle de chômage technologique pour décrire la situation des personnes dont la qualification n'est pas adaptées aux besoins des entreprises. Dans ce domaine, les actions possibles concernent la formation initiale ou la formation continue, et leurs effets ne se font sentir qu'à long terme. Les diplômes reconnus permettent d'ailleurs de diminuer les asymétries d'information entre employeur et candidat à l'embauche. Les agences de placement comme Pole Emploi permettent aussi de réduire ces asymétries, et elles baissent en outre la durée du chômage dit frictionnel, entre deux postes.


2/ Mais elles sont en partie incompatibles, ce qui fait privilégier l'action à long terme, hors périodes de crises


 a) Dans quels cas la stimulation de la demande globale peut-elle aggraver le chômage structurel ?

Dans une situation où la demande est suffisante par rapport aux capacités de production disponibles, c'est-à-dire principalement les machines et les locaux, la stimulation de la consommation a pour principal effet de faire augmenter les prix. Si cette hausse est trop rapide, cela finit par gêner le bon fonctionnement des marchés en général et de celui du travail en particulier, les prix ne pouvant plus autant jouer leur rôle de repères. Les conflits du travail pour obtenir des augmentations de salaires risquent alors de se multiplier.

Le chômage classique, lié à un coût du travail trop élevé, peut même être la conséquence directe d'une politique de hausse des rémunérations des salariés de l'Etat, ou de recrutement de nouveaux agents publics. En effet, pour éviter que les candidats à l'emploi les plus productifs se détournent du secteur privé, les entreprises doivent alors leur proposer des salaires plus élevés. Car la stimulation de la demande ne règle pas les problèmes de productivité des salariés les moins qualifiés, qui risquent ainsi davantage de se retrouver au chômage. C'est encore plus vrai si la relance de la demande se fait par la hausse du salaire minimum, dans le cadre de ce qu'on appelle la politique des revenus.


 b) Qu'est-ce qui rend préférable l'action sur le marché du travail, sauf risque de cercle vicieux déflationniste ?

Face aux conséquences négatives à moyen ou long terme des politiques conjoncturelles de relance de la demande, leurs avantages à court terme paraissent minces. C'est le chômage de longue durée qui pose le plus de problèmes aux individus concernés et à la société. De ce point de vue, les politiques économiques à court terme paraissent défendables seulement pour empêcher le glissement dans le chômage à long terme d'une partie des individus touchés par le chômage à court terme, à cause d'une déstabilisation psychologique, familiale et sociale. Mais ces cas relèvent peut-être avant tout de formes de traitement sans aucun rapport avec l'économie.

Il peut donc sembler souhaitable de privilégier les actions à long terme destinées à améliorer l'adéquation entre l'offre et la demande sur le marché du travail, en particulier par la formation et par la baisse du coût des salariés peu qualifiés. Mais à condition d'avoir la certitude qu'un cercle vicieux déflationniste ne risque pas de s'enclencher. La crise des années 1930 a en effet montré qu'on ne sort pas facilement de cet enchaînement, lorsque la baisse de la demande globale oblige l'ensemble des entreprises à baisser leurs prix, donc à licencier pour baisser leurs coûts ce qui réduit encore la demande globale. Dans ce cas la relance keynésienne de la demande paraît incontournable.


Conclusion   Les politiques de l'emploi disposent d'un ensemble de leviers qui permettent d'agir efficacement sur les différentes causes de chômage. Mais leur dosage est délicat, et il relève peut-être encore aujourd'hui de l'art plus que de la science. Au-delà des politiques strictement économiques, ou même des politiques dites passives qui rendent le chômage supportable avec des aides sociales, on peut se poser la question des aspects psychologiques, sociaux et familiaux du problème. Ne peut-on pas chercher à mieux accompagner moralement les personnes concernées, y compris lorsque le chômage n'est pas forcément destiné à durer? Ne peut-on pas éviter que des quartiers urbains se transforment en ghettos de chômeurs, à cause de problèmes de mobilité ou de discriminations à l'embauche?