La taxation et la réglementation sont-elles les instruments privilégiés de l'action publique pour l'environnement ?

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Le niveau de température, en moyenne sur 10 ans et sur l'ensemble de la surface du globe, a augmenté de 0,8 °C entre 1900 et 2000. Pendant aucun des siècles précédant le vingtième, même si on remonte à l'époque romaine, cette statistique n'avait varié autant. Ce réchauffement climatique rapide devrait en outre s'accélérer puisque le groupe intergouvernemental d'experts du climat (GIEC), créé dans le cadre des Nations Unies, a prédit une hausse de 2 à 6 degrés d'ici à 2100. Une telle évolution, si elle se poursuit, risque d'avoir des conséquences très négatives sur le bien-être ou même l'existence des générations futures d'êtres humains. C'est pourquoi de nombreux pays se sont engagés dans un ensemble d'actions, conduites par leurs pouvoirs publics, afin d'essayer de limiter le réchauffement à long terme : ce qu'on appelle la politique climatique. La règlementation, les incitations sous formes de taxes ou de subventions, mais aussi l'organisation de marchés de quotas d'émissions polluantes, sont les trois principales catégories d'outils utilisés. Cela pose la question de l'efficacité de ces instruments, à la fois dans l'absolu, et les uns par rapport aux autres.

1/ Dans le cas d'un bien commun comme le climat, la taxation et la contrainte réglementaire sont classiquement des instruments efficaces à la disposition des pouvoirs publics


 a) Pourquoi le climat est-il un bien commun justifiant l'intervention des pouvoirs publics ?

Les caractéristiques de l'atmosphère rendent notre planète habitable par l'espèce humaine, sans efforts particuliers la plupart du temps, et dans beaucoup d'endroits. Mais sa qualité de ce point de vue peut se dégrader. Toute action qui contribue au réchauffement climatique, comme le rejet de gaz à effet de serre, peut dès lors s'analyser comme la consommation d'un bien commun. On appelle ainsi les ressources dont la consommation est difficile à empêcher : lorsqu'un consommateur n'en prive pas un autre ce sont des biens collectifs purs, sinon ce sont des biens communs.

La consommation d'un bien commun est un cas d'externalité négative : c'est une action dont le coût n'est pas supporté par ceux qui la décident, et qui échappe par conséquent aux mécanismes d'ajustement par le prix des quantités offertes et demandées de chaque ressource sur le marché. Cela justifie une intervention des pouvoirs publics. A la différence des biens collectifs purs, qui doivent être produits et nécessitent par conséquent des dépenses publiques, financées grâce aux prélèvements obligatoires, le problème des biens communs conduit plutôt à essayer de freiner la consommation.


 b) Comment la réglementation et la taxation peuvent-elles servir à freiner le réchauffement climatique ?

Comme dans le cas de la plupart des externalités, la règlementation est le premier outil envisageable à la disposition des pouvoirs publics, afin de limiter le réchauffement climatique causé par les émissions de gaz à effet de serre. C'est l'instrument le plus simple à mettre en oeuvre, dans la mesure où une interdiction ou une norme maximale de rejets (soit par rapport à la surface occupée, soit par tonne de biens fabriqués) est relativement facile à fixer et à contrôler. Elle peut être modulée par catégorie de produits, en distinguant la fabrication de verre d'autres catégories de biens par exemple.

La taxation est une autre forme d'intervention publique efficace afin de limiter les comportements nuisibles à la collectivité, de la part d'agents agissant de façon rationnelle dans leur intérêt individuel. En créant des coûts pour les agents économiques à l'origine d'externalités négatives, la taxation « internalise » ces coûts dits externes. Les entreprises polluantes sont ainsi incitées à diminuer leurs rejets néfastes à l'environnement. A la différence de la règlementation qui agit directement sur les quantités émises, la taxation le fait indirectement par l'effet des prix. Il en va de même pour les subventions aux producteurs, qui diminuent les coûts de production et donc les tarifs, de même que les primes à l'achat pour les consommateurs.


2/ La réglementation et les incitations ont cependant des limites, qui rendent intéressante leur combinaison avec la solution du marché de quotas d'émission


 a) Quels inconvénients ont la réglementation et les incitations sous formes de taxes et subventions, pour limiter le réchauffement ?

La contrainte réglementaire, par exemple un seuil maximum d'émission de CO2 par tonne de produit, n'incite pas à continuer à faire des efforts lorsque les rejets polluants ont déjà diminué suffisamment pour se trouver bien en dessous du seuil. Une taxe par tonne de CO2 rejeté y incite au contraire, mais elle présente l'inconvénient de ne pas permettre de viser avec autant de certitude un niveau maximum de rejets polluants : chaque entreprise compare le coût de la taxe avec celui de la dépollution ainsi qu'avec les profits que l'activité polluante permet, dans les circonstances du moment. Les incitations en sens inverse sous forme de subventions aux producteurs ou aux consommateurs vertueux, par exemple les primes à l'achat de véhicules électriques, présentent le même inconvénient. Elles sont en outre coûteuses pour les finances publiques.

La taxation, les subventions, et plus encore la réglementation, sont d'autre part des procédés administratifs, moins efficaces que les mécanismes de marché pour tenir compte de la diversité des situations possibles, à l'échelle des entreprises polluantes. Par ailleurs ces deux méthodes posent chacune des problèmes d'application à l'échelle supranationale, qui est celle où le problème du climat se pose. En effet la taxation et la règlementation suscitent des résistances plus ou moins fortes selon la culture de chaque pays, et relèvent pour cette raison encore souvent de la souveraineté nationale.


 b) Quel est l'intérêt des quotas d'émission de CO2 et quelles sont leur propres limites ?

Le principe des quotas d'émission est de fixer un niveau maximum de pollution, comme pourrait le faire une simple contrainte règlementaire, mais en laissant ensuite le marché répartir ces « droits à polluer » au plus offrant. Ainsi les entreprises sont incitées à essayer de réduire leurs émissions polluantes en comparant le coût de cette réduction, différent selon la situation particulière de chaque producteur, avec le prix sur le marché du quota correspondant de rejets évitables. Une meilleure allocation des ressources est possible grâce à cette prise en compte de la diversité des agents.

Les marchés de quotas ont cependant leurs propres limites. L'évaluation par site de production ne peut être qu'administrative, peu transparente et complexe. Et si on renonce à attribuer ainsi des quotas gratuits aux producteurs, l'autre solution est de mettre les quotas aux enchères, ce qui pose des problèmes d'acceptation politique. Autant taxer alors, en dehors du cas des entreprises les plus importantes en matière de rejets de gaz à effet de serre, pour lesquelles un niveau raisonnable de quotas gratuits peut être évalué efficacement.


Conclusion   L'accord est presque général sur le constat du réchauffement climatique, et sur l'idée qu'une action des pouvoirs publics dans ce domaine est souhaitable. L'efficacité de cette action dépend de la combinaison judicieuse des trois catégories d'instruments à la disposition des pouvoirs publics, sans que la réglementation, l'incitation par le biais de taxes ou subventions, ni même les quotas d'émission, s'impose comme la meilleure solution par rapport aux deux autres. L'intensité de l'effort à fournir fait davantage débat, dans la mesure où nous ignorons presque tout des moyens dont disposeront les générations futures par rapport à nous. A quel point privilégier un citoyen du XXII° siècle par rapport à un chômeur pauvre actuel? N'est-il pas présomptueux de penser pouvoir se projeter ainsi dans le futur pour faire des arbitrages par rapport au présent? Et finalement, les individus que nous sommes tous doivent-ils vraiment se sentir responsables de l'avenir d'une espèce, fût-elle la nôtre ? Nous avons peut-être tendance à nous prendre trop facilement pour des dieux.