A quel point les enjeux environnementaux sont-ils aussi des enjeux de développement et de gouvernance mondiale ?

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La montée des températures et la poursuite de l'augmentation des émissions de CO2, à l'échelle mondiale, peut parfois sembler désespérante, alors que le problème a bien été compris dès les années 1970, comme en témoignait dès 1972 le rapport de Dennis Meadows ("Halte à la croissance", publié par la Club de Rome). L'impuissance des responsables politiques à endiguer le phénomène ne vient pas seulement de la résistance des intérêts industriels, ni de celle des populations habituées à leur mode de vie occidental. A l'échelle mondiale la gouvernance, c'est-à-dire la façon dont peuvent se mettre en place des règles pour résoudre des problèmes communs, est loin d'être une affaire simple. Et les différences entre pays dans la façon dont ils parviennent à satisfaire les besoins de leur population, autrement dit les écarts de développement entre eux, contribuent à la difficulté.

1/ Les difficultés d'application des accords internationaux sur l'environnement s'expliquent par l'intérêt de chaque Etat à se comporter en passager clandestin dans ce domaine


 a) Comment l'application des accords de Paris a-t-elle illustré les difficultés anciennes à agir pour le climat à l'échelle internationale ?

Les accords de Paris, signés en 2015 par les représentants des principaux gouvernements lors de la COP 21 (autrement dit la 21ème réunion annuelle des négociateurs, "Conference Of Parties"), ont fixé des objectifs modestes pour limiter le réchauffement climatique. Il était question uniquement d'engagements volontaires des pays signataires, et le plafond initialement envisagé de 1,5°C maximum de réchauffement, par rapport à l'ère industrielle, a été remplacé dans le texte final par "moins de 2°C et le plus près possible de 1,5°C". Pour cela l'UE s'est engagée par exemple à réduire de 30% ses émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990, les USA de 26% en 2025 par rapport à 2005, et la Chine a promis de stopper la hausse de ses émissions de CO2 avant 2030, en diminuant de 60% ces émissions par unité de PIB, par rapport à 2005.

Dès 2017 les Etats-Unis présidés par Donald Trupp ont annoncé qu'ils se retiraient de l'accord. Certains pays signataires n'ont pas pris les mesures nécessaires pour atteindre leurs objectifs, par exemple l'Australie, même si d'autres sont plutôt en voie de respecter leurs engagements, comme les membres de l'UE ou la Chine. Un acteur économique important, la Turquie, a signé l'accord mais celui-ci n'a pas ensuite été ratifié par son parlement. Cela rappelle ce qui s'était produit auparavant avec les accords de Kyoto en 1997, signés mais jamais ratifiés par les USA. D'autres pays, comme le Canada ou la Russie, se sont retirés ensuite. Le protocole de Kyoto prévoyait notamment de réduire les émissions de gaz à effet de serre par la mise en oeuvre de marchés de quotas d'émission à l'échelle internationale. Cela s'est traduit dans l'UE par la mise en oeuvre d'un marché de la tonne de CO2 émise.


 b) Pourquoi chaque Etat a-t-il intérêt à se comporter en passager clandestin de l'action environnementale à l'échelle internationale ?

Lorsqu'on peut profiter des efforts des autres sans en fournir soi-même, il est très tentant de le faire et donc de se comporter comme le passager clandestin du bateau, qui n'a pas payé son billet. Or en matière de qualité du climat, les pays qui décident de rejeter moins de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, pour limiter le réchauffement climatique, rendent service non seulement à eux-mêmes mais à l'ensemble de l'humanité. La réduction de la consommation ou les méthodes de production plus onéreuses que cela entraîne représentent un coût pour eux, que n'ont pas à supporter les autres pays pour profiter du même avantage. Pire encore, cela peut renforcer la compétitivité des pays moins vertueux face à leurs propres entreprises, puisque des coûts de production inférieurs permettent de vendre moins cher.

La logique pousse donc les gouvernements à attendre autant que possible que les autres nations aient mis en place des mesures, avant d'en mettre en oeuvre eux-mêmes. Cela freine évidemment la lutte contre le réchauffement climatique, comme d'autres politiques environnementales qui concernent toute la planète, la protection de la biodiversité par exemple. Dans le cas de la réduction des gaz à effet de serre, certains pays ont en outre beaucoup plus à perdre que d'autres : les pays côtiers et les îles en particulier, dont certaines risquent même d'être submergées à cause de la montée des eaux.


2/ La gouvernance nécessaire pour affronter ce problème doit surmonter le problème de légitimité des institutions internationales, lié notamment aux inégalités de développement


 a) Quelles institutions pourraient jouer un rôle de régulation à l'échelle supra-nationale, sur les questions d'environnement ?

Le problème des institutions supra-nationales, c'est leur manque d'autorité lié au fait qu'elles n'ont pas la légitimité que donne par exemple l'élection de dirigeants au suffrage universel. L'Organisation de Nations Unies par exemple est souvent accusée de servir principalement les intérêts des pays occidentaux, en ce qui concerne les décisions de son conseil de sécurité. Ses politiques peuvent donc être assez facilement contestées, et elle n'a guère de moyens de sanction : les opérations des "casques bleus" de l'ONU sont la plupart du temps rendues possibles par des coalitions régionales d'intérêts nationaux. L'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), qui pourrait jouer un rôle en autorisant de taxer davantage les importations en provenance de pays pollueurs, a le même problème de légitimité, et elle n'a guère été soutenue par les Etats-Unis eux-mêmes dans la période récente.

L'Union Européenne est un organisme supra-national qui a davantage la capacité de faire respecter des règles parmi les Etats qui la composent. Le degré d'intégration politique et économique y est fort, et compte tenu de son poids dans l'économie mondiale, l'effet d'une réduction des émissions de gaz à effet de serre notamment n'y est pas négligeable. Ce poids a eu cependant tendance à décliner depuis un quart de siècle, passé de 30% du PIB mondial aux environs de 2000 à un peu plus de 15% aujourd'hui. La solidarité entre les pays membres a eu également tendance à s'affaiblir, avec la sortie du Royaume-Uni. L'importance historique de l'Europe compte tenu de son rôle dans la Révolution industrielle peut toutefois lui faire jouer également un rôle d'exemple.


 b) Quel rôle jouent les inégalités de développement dans ce qui mine la légitimité d'une gouvernance mondiale en la matière ?

Le problème de légitimité et donc d'autorité des institutions supra-nationales comme l'ONU ou l'OMC, ce n'est pas seulement le fait que leurs représentants ne sont pas élus au suffrage universel comme la plupart des gouvernements nationaux. C'est aussi le poids des anciens pays colonisateurs dans leur fonctionnement, par rapport aux anciens pays colonisés. Cette influence s'explique en partie par l'histoire, mais plus prosaïquement aussi par la participation des uns et des autres au financement de ces organismes. Les pays dont le développement n'a pas encore atteint le niveau des anciens pays industrialisés peuvent ainsi avoir le sentiment que leurs intérêts sont moins bien pris en compte par les recommandations de ces institutions. Les mesures proposées ont donc d'autant moins de chances, bien sûr, d'être appliquées.

En outre, et c'est l'argument le plus solide des représentants de ces nations, l'effort à faire par les populations des pays pauvres, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, affecterait la satisfaction de besoins beaucoup plus importants pour les habitants de ces pays, car leur niveau de vie est plus faible par rapport à ceux des pays anciennement industrialisés. Ce raisonnement a d'autant plus de force que chaque habitant des régions en voie de développement contribue beaucoup moins au réchauffement climatique, par son mode de vie, qu'un habitant des pays riches : un indien émet 8 fois moins de CO2 qu'un américain en moyenne, par exemple. A cela s'ajoute que les nations anciennement industrialisées ont construit leur prospérité actuelle, et notamment leur capital en infrastructures et en institutions, grâce aux grandes quantités de CO2 rejetées depuis déjà longtemps dans l'atmosphère. Pour rattraper leur retard les pays moins développés auraient ainsi, selon certains, un droit moral à polluer davantage, ou en tout cas à faire moins d'efforts.


Conclusion   Les pays anciennement industrialisés ont peut-être plus d'efforts à faire que les autres, pour la lutte contre le changement climatique et les autres enjeux environnementaux. Les institutions internationales ne sont peut-être pas parfaites. Les accords déjà signés à l'échelle mondiale n'ont pas produit tous les résultats attendus, en partie parce que chaque nation a intérêt à se comporter au temps que possible en tant que passager clandestin, en faisant supporter le coût de l'ajustement plutôt par les autres. Il reste que la prise de conscience croissante des problèmes environnementaux au sein des populations, et l'orientation qu'elle donne aux votes et donc aux programmes des partis politiques, permettent d'être prudemment optimiste sur les chances de parvenir à freiner davantage le réchauffement climatique dans la prochaine décennie et les suivantes.